Baisse de 10 milliards des dépenses publiques : vers un nouveau retour a la rigueur ?
Lors du Journal télévisé du 20 heures le dimanche 18 février 2024, le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé que le gouvernement réduirait de 10 milliards d’euros les dépenses publiques en 2024, en plus des 16 milliards déjà prévus dans le projet de loi de finances. Cette annonce fait suite à la révision des perspectives de croissance pour 2024, qui passent de 1,4% à 1%. Selon Bruno Le Maire, « il faut faire des économies pour garder la maitrise de nos finances publiques. […] Quand on gagne moins en recettes fiscales, on dépense moins, c’est du bon sens ».
1. Pourquoi cette nouvelle baisse des dépenses publiques ?
Dans le projet de loi de finances pour 2024, le gouvernement a construit son budget sur la base d’une croissance de 1,4%. Cependant, dès septembre, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) se montrait (très) critique et écrivait que « pour 2024, le Haut Conseil estime que la prévision de croissance (+1,4%), supérieure à celles du consensus des économistes (+0,8%) et des organismes qu’il a auditionnés, est élevée. Pour la totalité des postes de demande (consommation, investissement, exportations), le Gouvernement est plus optimiste que ces organismes ».
Même si Bruno Le Maire défendait jusqu’à peu les prévisions de croissance de Bercy, le ralentissement de l’activité économique l’a amené, avec le gouvernement, à les réviser en les passant de 1,4% à 1% pour 2024. Or une croissance plus faible se traduit mécaniquement par moins de recettes fiscales, ce qui creuse le déficit et la dette publique. En effet, lorsque l’activité économique ralentit, l’État collecte moins de TVA, d’impôt sur le revenu ou encore d’impôt sur les sociétés.
Dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027, qui est un document présentant la trajectoire des finances publiques qui est prévue par le gouvernement jusqu’en 2027, un retour du déficit public à 4,4% du PIB en 2024 est anticipé, contre 4,9% en 2023. Avec une croissance plus basse et moins de recettes publiques, le gouvernement a fait le choix de réduire de 10 milliards d’euros supplémentaires les dépenses publiques en 2024 afin de tenir cet objectif.
Toutefois, d’autres choix auraient été possibles plutôt que celui de la baisse des dépenses publiques. D’abord, le gouvernement aurait pu laisser filer le déficit public, étant donné que la France continue de (re)financer sa dette facilement et à bas coût sur les marchés financiers.
Il aurait pu aussi augmenter les impôts des plus riches et revenir sur les baisses d’impôts consenties aux entreprises. Contrairement à ce qu’avance Bruno Le Maire, un État a la main sur ses recettes, en utilisant le levier de la fiscalité.
Par exemple, le gouvernement aurait pu taxer les dividendes ou les superprofits, imposer les transactions financières ou modifier l’imposition sur les successions. Il aurait également pu revenir sur une partie des cadeaux fiscaux faits aux entreprises, dont le montant est de 175 milliards d’euros en 2022. C’est le cas de la baisse des impôts de production pour un montant de 10 milliards d’euros décidée en 2020 ou encore des exonérations de cotisations sociales au-delà du seuil de 1,6 SMIC, dont la littérature économique a prouvé qu’elles étaient inefficaces et dont le montant s’élève à plus de 15 milliards d’euros !
Dit autrement, le choix de réduire les dépenses publiques de 10 milliards d’euros ne s’impose absolument pas, et ne s’explique que par l’obstination du gouvernement à ne pas toucher à la fiscalité et à vouloir revenir sous les 3% de déficit d’ici 2027 afin de respecter, quoiqu’il en coûte, les traités européens.
2. Des coupes budgétaires qui risquent de s’intensifier
Certains économistes évoquent déjà un potentiel tournant de la rigueur à la suite de l’annonce de Bruno Le Maire. C’est le cas par exemple de Mathieu Plane, économiste et directeur adjoint à l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), pour qui « ce plan de 10 milliards, ça commence à ressembler à un tournant de la rigueur ». Plusieurs éléments laissent en effet penser que les baisses de dépenses publiques risquent de se poursuivre et de s’intensifier dans les mois et les années qui viennent.
D’abord, le gouvernement n’a pas précisé si la baisse des dépenses publiques était brute ou nette, c’est-à-dire si elle tenait compte des dépenses nouvellement engagées et qui n’étaient pas prévues dans le budget 2024. Par exemple, l’exécutif a récemment débloqué une aide de 400 millions d’euros pour les agriculteurs∙rices et jusqu’à 3 milliards d’euros de soutien militaire à l’Ukraine. Si les 10 milliards de réductions budgétaires ne tiennent pas compte de ces dépenses nouvelles, le gouvernement risque de procéder à des coupes supplémentaires en cours d’année pour tenir son objectif de déficit.
D’autant que le chiffre de 10 milliards n’a pas été choisi au hasard. Lorsqu’un gouvernement souhaite revoir son budget, il présente généralement un projet de loi de finances rectificatif (PLFR) devant le Parlement, qui doit être discuté et voté par les député∙es. Mais pour éviter de recourir au 49.3 avant les élections européennes [1], le gouvernement a fait le choix de passer par décret, puisque la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) l’autorise a gelé des crédits par voie réglementaire pour un montant allant jusqu’à 1,5% des dépenses de l’État. Les 10 milliards d’euros correspondent donc au montant maximal que le gouvernement pouvait supprimer sans passer par un PLFR, et donc un débat et un vote devant l’Assemblée nationale.
Mais il ne s’agit pas du montant nécessaire pour compenser la baisse des recettes fiscales. Si le gouvernement maintient sa volonté de respecter la trajectoire de désendettement de la France, de nouvelles coupes budgétaires risquent probablement d’être annoncées après les élections européennes. Lors de son interview, Bruno Le Maire indiquait d’ailleurs que « nous nous gardons aussi la possibilité d’un budget rectificatif à l’été en fonction des circonstances économiques et en fonction de la situation géopolitique ».
Ensuite, la plupart des économistes considèrent que la nouvelle prévision de croissance du gouvernement reste trop haute. La Commission européenne anticipe une croissance du PIB de 0,9%, l’OFCE de 0,8% et l’OCDE prévoit même une hausse de l’activité économique de seulement 0,6% ! Dans le cas où les prévisions de croissance seraient encore revues à la baisse, le gouvernement devrait donc réduire plus fortement les dépenses publiques pour atteindre son objectif d’un déficit public à 4,4% du PIB en 2024. L’économiste atterré Henri Sterdyniak considère d’ailleurs que « la croissance française pour 2024 sera plutôt de 0,8%. Vouloir réduire le déficit public à 4,4% du PIB demande des économies budgétaires de 25 milliards ».
Mais ce n’est pas tout ! Lorsque l’État réduit ses dépenses publiques, cela réduit la demande qui est adressée aux entreprises, ce qui a un effet récessif sur l’activité économique. En d’autres termes, baisser les dépenses publiques revient à freiner la croissance, et donc à réduire de nouveau les recettes de l’État, ce qui appelle à des coupes budgétaires supplémentaires. En tenant compte de l’effet des économies budgétaires sur l’activité économique, Henri Sterdyniak démontre que la baisse des dépenses publiques devrait être de 40 milliards d’euros, avec un effet dépressif de l’ordre de 1% du PIB ! Une telle baisse entraînerait alors des conséquences économiques et sociales désastreuses.
Enfin, le gouvernement a fortement baissé les impôts depuis le premier quinquennat Macron en 2017. Ces baisses d’impôts ont mécaniquement réduit les recettes fiscales de l’État, ce qui a creusé le déficit et la dette publique. Si le gouvernement maintient sa trajectoire de finances publiques et cherchent à réduire le déficit sous les 3% d’ici 2027, alors il devra réduire de façon importante les dépenses publiques pour compenser ces baisses d’impôts. C’est ce que les économistes appellent la stratégie du « starve the beast » [2] : en réduisant les impôts, on prive l’État de ses ressources, ce qui le force à terme à couper dans ses budgets et, in fine, à réduire ses dépenses.
Début janvier, Bruno Le Maire annonçait déjà que 12 milliards d’économies supplémentaires seraient nécessaires en 2025, et de nombreux médias annoncent que Gabriel Attal souhaite poursuivre dès 2024 les coupes dans les dépenses sociales. En particulier, il veut réduire les indemnités chômage, désindexer les retraites de l’inflation ou réduire la prise en charge des frais de santé, comme sur les affections longue durée.
3. À quoi correspondent ces 10 milliards ?
Ces économies budgétaires se répartissent de deux façons. En premier lieu, elles concernent pour 5 milliards d’euros les dépenses de fonctionnement des ministères en fonction de leur poids dans le budget de l’État. Même si les administrations publiques peuvent réduire leurs dépenses énergétiques, immobilières ou de déplacements, les données disponibles sur Eurostat montrent que les dépenses de fonctionnement des administrations publiques françaises sont parmi les plus efficaces d’Europe. Les économies potentielles sur ces dépenses sont (très) faibles, et elles risquent surtout de se traduire par des suppressions d’emplois publics, ce qui risque de dégrader une fois de plus les services publics.
Le collectif Nos services publics a calculé que ces suppressions pourraient s’élever à 20 000 emplois dans la Fonction publique d’État.
Ensuite, les 5 milliards restant concernent les montants qui sont alloués à certaines politiques publiques. Par exemple, alors que la rénovation énergétique des logements est un enjeu écologique et social primordial, le gouvernement a fait le choix de réduire les aides accordées aux ménages à travers le dispositif « MaPrimRenov’ », puisque son budget diminue de 1 milliard d’euros pour 2024. Selon le collectif Nos services publics, cette économie budgétaire correspond à entre 100 000 et 150 000 logements dont la rénovation énergétique ne pourra pas être effectuée. Le gouvernement a aussi instauré un reste à charge forfaitaire de 10 % pour les travailleur∙ses qui souhaitent suivre une formation en utilisant leur compte personnel de formation (CPF). Cela doit permettre à l’État d’économiser 200 millions d’euros, puisque les salarié∙es devront désormais payer une partie de la formation.
Par conséquent, même si Bruno Le Maire considère que ces coupes budgétaires n’entraîneront aucune conséquence négative pour les ménages, cela est faux. D’une part, ils seront impactés par la réduction de certaines politiques publiques dont ils auraient pu bénéficier, par la dégradation des services publics et par la baisse de leur pouvoir d’achat [3]. D’autre part, ils seront pénalisés par l’impact récessif de cette baisse des dépenses publiques. En effet, une politique budgétaire restrictive freine l’activité économique, ce qui tend à renforcer le chômage.
À retenir :
➢ À la suite de la révision des perspectives de croissance et pour compenser les pertes de recettes fiscales associées, le gouvernement a choisi de réduire de 10 milliards d’euros supplémentaires les dépenses publiques afin de tenir l’objectif d’un déficit public à 4,4% du PIB en 2024.
➢ Cette décision marque certainement un nouveau retour à la rigueur, puisque ces coupes budgétaires risquent de s’amplifier dans les mois et années qui viennent.
➢ Cette baisse des dépenses publiques se traduit par une détérioration des services publics, par une réduction de la voilure de certaines politiques publiques dont auraient pu bénéficier les ménages et par un ralentissement de l’activité susceptible de faire augmenter le chômage.
[1] En effet, depuis le début du second quinquennat Macron, tous les budgets ont été votés par 49.3. En situation de majorité relative, le gouvernement ne dispose pas du nombre de voix suffisant pour faire voter ses budgets à l’Assemblée.
[2] En français, la stratégie qui consiste à « affamer la bête » ou « dégraisser le mammouth ».
[3] Dans un contexte inflationniste, moins de rénovations thermiques (à cause des coupes dans le budget de « MaPrimeRenov ‘ ») se traduit en effet par une facture énergétique plus élevée pour les ménages.