Exonérations de cotisations : toujours plus de cadeaux sans conditions !
Toujours plus importantes, les exonérations de cotisations sociales, pudiquement nommées « allégements » par le patronat et les services de l’État, représentent en 2022 plus de 73,6 milliards d’euros de pertes, en hausse de 13,1 % sur un an.
Si depuis 2013 ces exonérations ont massivement augmenté, c’est aussi la structure de ces exonérations qui a radicalement évolué sur la période. Les exonérations ciblées sont restées confidentielles tout en étant largement complétées par de nouvelles exonérations générales dont on connait l’inefficacité en termes d’emploi. Ces exonérations sont également de plus en plus récupérées par des entreprises de plus de 500 salarié∙es.
Revenir sur ces exonérations permettrait d’assainir les finances de la Sécurité sociale empêchant qu’une part des revenus socialisés de notre travail ne servent à subventionner des entreprises de plus en plus grandes, et qui bien trop souvent n’en ont pas besoin.
1. Un montant qui bat chaque année un nouveau record
Le montant annuel des exonérations a été multiplié par 2,8 entre 2012 et 2022, ce qui vient chaque année grossir le poids des aides publiques aux entreprises [1]. Comme l’indique l’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité sociale), ces exonérations n’ont pas cessé d’augmenter depuis 2012 et ont globalement augmenté sur la période 2004 – 2022.
Comme on peut l’observer sur le graphique ci-dessus, l’année 2013 marque une rupture importante avec l’instauration du CICE, faisant augmenter le taux d’exonération de près de 2 points. En 2019, celui-ci a été remplacé par les exonérations dites « réductions AM » et « réductions AF », mais celles-ci sont au final plus importantes en volume que ce que représentait le CICE.
Depuis 2004, les gouvernements successifs ont donc empilé les mesures d’exonérations de cotisations sociales, augmentant les besoins de financement de la Sécurité sociale en faisant baisser toujours plus ses recettes.
Une double logique contre l’augmentation des salaires proches du SMIC
À cette logique d’empilement, il est nécessaire d’ajouter deux effets structurels et conjoncturels pour comprendre les conséquences pour les salarié∙es en cette période de forte inflation :
- - D’une part, les exonérations sur les bas salaires construisent une trappe à bas salaire dans le sens où les employeurs ne sont pas incités à augmenter les plus bas salaires au risque de perdre les exonérations de cotisations. Les travailleur∙ses dont les rémunérations sont proches du SMIC sont donc plus susceptibles d’y rester.
- - D’autre part, l’augmentation du SMIC pour compenser la forte inflation peut inciter à limiter les augmentations des salaires légèrement supérieurs à 1,6 SMIC (seuil de suppression d’une part importante des exonérations), permettant aux employeurs de passer sous la barre des 1,6 SMIC et ainsi récupérer ces exonérations.
Les salaires doivent donc faire face à un double effet qui limite leur augmentation : la logique de trappe à bas salaire et un effet de seuil inversé.
2. Des mesures de moins en moins ciblées, à l’opposé de la nécessaire conditionnalité des aides publiques
De plus en plus de dispositifs généraux
La dynamique est à la généralisation des dispositifs d’allègement, qui sont de moins en moins ciblés sur des territoires ou des secteurs particuliers. En effet, les dispositifs généraux comptent pour 96% du total aujourd’hui contre 87% en 2012, soit précisément l’inverse d’une mise en conditionnalité des aides, fermement revendiquée par la CGT.
C’est ce qui explique l’écart relativement faible entre la part de la masse salariale couverte dans les grandes entreprises et celle couverte dans les petites. En effet, les exonérations couvrent 8% de la masse salariale dans les entreprises de 500 salarié∙es et plus, et seulement le double (16,2%) dans les entreprises de moins de 10 salarié∙es. Ces 8% sont-ils nécessaires pour les grosses entreprises ? Les secteurs de la cokéfaction-raffinage, celui des activités informatiques ou encore celui des activités financières et d’assurance bénéficient respectivement de taux d’exonération de 2,7%, 5,4% et 4,2%. Or, ces secteurs figurent parmi les plus profitables !
Une tendance favorable aux grosses entreprises
L’autre tendance de fond est le basculement des exonérations qui bénéficient de plus en plus aux grosses entreprises et de moins en moins au plus petites. En effet, les entreprises de moins de 20 salarié∙es concentraient 41,3% des montants exonérés en 2011, contre 32,9% en 2022. Cela se fait notamment au bénéfice des entreprises de plus de 500 salarié∙es qui touchent 26,1% des montants en 2022 contre 20,2% en 2011.
3. Moins d’exonérations, plus de Sécurité sociale !
Le développement des exonérations des cotisations sociales s’inscrit dans les politiques néolibérales d’incitation financière à destination des entreprises. En somme, il faudrait mettre la politique publique au service des entreprises en diminuant les prélèvements obligatoires sur celles-ci et en augmentant leurs marges de liberté. C’est seulement par ce moyen que l’on pourrait retrouver un nombre d’emplois suffisant pour tous les travailleurs et les travailleuses.
Pourtant, cette logique ne tient pas. Toutes les études sérieuses montrent qu’il n’y a très peu voire pas d’effet des exonérations sur l’emploi. En revanche, elles maintiennent un niveau élevé d’emplois précaires et de très piètre qualité. En faisant un rapide calcul, on peut évaluer que pour le même montant, il serait possible de créer environ 1,5 millions d’emplois rémunérés 2500 euros bruts par mois [2], soit bien plus que les emplois précaires et mal rémunérés qui concentrent les exonérations !
Enfin, les exonérations de cotisations sociales sont largement compensées par un transfert du budget de l’État vers la Sécurité sociale. Concrètement, du fait de transfert de plus de 70 milliards pour compenser ces pertes, l’État, donc les services publics, se voient amputer d’une manne financière très importante. Et quelle meilleure méthode pour crier au déficit à la suite de ces transferts ?
Finalement, les exonérations de cotisations sociales servent à la fois à perfuser les entreprises et participent via un mécanisme de compensation à l’étatisation de la Sécurité sociale et à l’assèchement du budget de l’État. Revenir sur ces exonérations, c’est à la fois garantir l’indépendance financière de la Sécurité sociale et garantir une amélioration du budget de l’État pour les services publics dans une période de besoins très importants.
A retenir :
- ➢ Les exonérations de cotisations sociales ont plus que doublé en 10 ans.
- ➢ Les exonérations de cotisations sociales produisent des trappes à bas salaires.
- ➢ Les exonérations de cotisations sociales sont de moins en moins ciblées. En 2022, les dispositifs généraux représentent 96% des exonérations contre 87% en 2012, étant entendu que le volume d’exonérations à plus que doublé sur la période.
- ➢ Les grandes entreprises profitent de plus en plus des exonérations de cotisations sociales au détriment des plus petites.
- ➢ Les exonérations de cotisations sociales participent à l’étatisation de la Sécurité sociale via un mécanisme de compensation ainsi qu’à l’assèchement du budget de l’état.
- ➢ Il y a urgence à en finir avec les exonérations de cotisation et à instaurer la conditionnalité des aides publiques.
[1] Les aides publiques aux entreprises représentent chaque année plus de 200 milliards d’euros, et parmi elles, les exonérations de cotisations représentent une part importante, en croissance
[2] Le calcul est le suivant : pour un emploi rémunéré 2 500 euros brut mensuel, le salaire brut annuel est de 30 000 euros, soit 50 000 euros super bruts (c’est-à-dire intégrant les cotisations patronales). En divisant le coûts total que l’État prend en charge pour compenser les exonérations non versées par les entreprises (71,2 milliards en 2022), par le coût annuel d’un emploi public supplémentaire (50 000 euros), on obtient 1,42 millions d’emplois rémunéré 2 500 euros bruts par mois.