Retraite : le leurre des 1200 euros
Cette mesure cristallise les débats dans le cadre de la réforme, et il est souvent question de savoir combien de personnes seraient potentiellement bénéficiaires. Une bataille de chiffres est lancée quant à savoir si le gouvernement ment ou pas dans les estimations qu’il donne.
Personne ne semble imaginer que plutôt que de mensonges il pourrait être question d’incompétence, ce que les tergiversations mathématiques d’Olivier DUSSOPT et de plusieurs députés de la majorité présidentielle laissent pourtant entrevoir.
La faute du Gouvernement est dans son choix de parler d’un « minimum de pension », qui laisse envisager une pension garantie à 1.200 euros, et non pas du MInimum COntributif (MICO) qui est une notion moins connue, mais surtout plus technique.
A l’origine, il s’agit de la reprise dans le programme d’Emmanuel Macron de la mesure envisagée dans le cadre de la réforme à points. Le changement de système envisagé alors, avec la prise en compte des salaires sur toute la carrière dans un régime unique à points, posait questions pour les personnes ayant travaillé toutes leurs vies avec des petits salaires du niveau de leur retraite. Jean-Paul Delevoye avait alors intégré l’idée d’un minimum de pension à 85 % du SMIC, ce qui correspondait alors à 1.000 €, et faisait aussi écho à la question des petites pensions abordée dans le rapport Turquois-Causse.
Il s’agit donc de la mise à jour de ces 1.000 € au regard de l’évolution du SMIC, et c’est ainsi qu’il est passé à 1.100 € lors de la campagne présidentielle, et est aujourd’hui à 1.200€.
Un cafouillage politique par manque de connaissance technique
L’idée de parler d’une pension minimale pour une carrière complète avait un sens dans le cadre d’un système universel, mais ne peut pas s’envisager aussi simplement dans le système actuel.
La mesure de 85% du SMIC pour une carrière complète est prévue dans le dispositif du minimum contributif, et s’appuie sur un cas théorique d’une personne travaillant toute sa carrière dont le cumul de sa retraite de base (calculée sur les 25 meilleures années) et de sa complémentaire (en points cumulés tout au long de la carrière) lui
donnerait moins que ce niveau.
Une simple recherche internet permet de comprendre pourquoi le chiffre de 1.200€
n’a pas de sens.
Pour bénéficier du dispositif du MInimum COntributif, il faut remplir 3 conditions :
- • Avoir pris sa retraite à taux plein ;
- • Avoir liquidé TOUTES ses retraites ;
- • Percevoir moins de 1.309,75€ par mois toutes pensions confondues lors de
- la liquidation.
Le montant du minimum contributif dépend du nombre de trimestres effectivement
cotisés au régime général :
- • Si moins de 120 trimestres cotisés au régime général, le MICO est de 684,13€
- • Si plus de 120 trimestres cotisés au régime général, le MICO est de 747,57€
- (684,13€ et 64,43€ de majoration)
La pension de base versée par le régime général est portée au niveau du MICO (majoré ou non majoré selon les cas), sans que le total des retraites versées ne puisse dépasser 1.309,75€.
Le projet de réforme prévoit de porter les montants du MICO à 709,13€ pour le non majoré, et à 847,56 € (709,13€ et 138,43€ de majoration) au 1er septembre, le plafond de retraites cumulées n’étant revu qu’au 1er septembre.
Alors combien de personnes cela concernera-t-il ?
Difficile, voire impossible à dire. Le fait est qu’en communiquant sur les retraites à 1.200 € le gouvernement et ses députés affidés ont tout mélangé, et se sont empêtrés.
Le nombre de bénéficiaires du MICO dépendra des profils de carrière et des montants perçus tous régimes confondus au moment du départ en retraite. En prolongeant la durée d’activité par le report de l’âge (et aussi la hausse de la durée de cotisation), cela entraîne une hausse du montant de retraite à percevoir lorsque la personne reste en activité.
Les chiffres donnés dans la presse quant aux données de sécurité sociale (qui ne semblent pas avoir été publiées) font état de 541.260 départs au-dessus de 1.200
euros en 2024, de 588.111 départs en 2027, et de 599.363 en 2030, sans pouvoir dire combien partiraient avec une carrière complète.
Par sa mécanique, il est par ailleurs possible de bénéficier de la hausse de sa pension de base, alors que l’on perçoit plus de 1.200 €, et de ne pas bénéficier du dispositif MICO (ou de subir une proratisation) alors que l’on perçoit moins de 800€.
Un sujet illisible
Le dispositif est donc technique et deux personnes avec des montants de retraites identiques peuvent ne pas bénéficier du même montant de revalorisation, puisque celle-ci dépend tout à la fois du montant de la retraite de base, du profil de carrière et de l’éligibilité au dispositif.
A cela se rajoute le fait que le MICO est automatiquement versé dès lors que les services de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) ont identifié le dossier.
En l’absence du bulletin de pension, la personne retraitée ne pourra pas savoir si elle en bénéficie ou pas.
A titre d’illustration, le recueil statistique du régime général indique que parmi les nouveaux retraités de droit direct en 2021, et avant de savoir s’ils dépasseraient le plafond des 1.309,75€, il y avait 216.300 personnes identifiées comme potentiellement éligibles :
- • Elles avaient pris leur retraite à taux plein,
- • Elles avaient une carrière complète,
- • et leur pension de base au régime général était inférieure au MICO.
Mais, seulement 91.000 ont perçu une somme au titre du MICO dès leur départ en retraite (en moyenne 134€ pour 27% du droit direct). Le calcul définitif ne sera possible qu’une fois toutes les pensions des autres régimes effectivement liquidées, ce qui fera augmenter ce chiffre. Certaines ne bénéficieront pas du dispositif parce que le total des pensions avec les autres régimes (retraite complémentaire et polypensionnés) sera supérieur au plafond d’éligibilité.
En attendant un calcul définitif qui préciserait combien de personnes seraient réellement concernées, il est clair que la fourchette serait de quelques dizaines de milliers de personnes, contrairement aux deux millions annoncés par le Gouvernement.