Le "contact tracing", un dispositif inefficace, liberticide et allant a l’encontre des missions de la Sécurité Sociale
Le dispositif de « Contact Tracing » piloté par l’Assurance Maladie et les ARS est de plus en plus inopérant alors même qu’il mobilise le personnel de la Sécurité Sociale au détriment de leurs missions, établie un fichage des malades et de leurs contacts et empêche la prise en compte des besoins des assurés sociaux.
1) La politique du « tester, alerter, protéger » de plus en plus inopérante
Lors d’une épidémie, en l’absence de traitement efficace (ou remède) et/ou de vaccin, le seul moyen de freiner la propagation d’un agent infectieux est de détecter les personnes contagieuses le plus précocement possible et de les isoler de manière stricte immédiatement. Or, la politique de massification des tests est une catastrophe. Les personnes jointes par les équipes rencontrent énormément de difficulté à aller faire un test au bon moment étant donné la saturation des lieux de dépistages. Les délais pour rendre les résultats sont beaucoup trop longs, et laissent le temps aux personnes contagieuses de contaminer leur entourage. Pour mesurer l’étendue du problème, il est utile de citer une étude récente qui vient de montrer qu’une personne infectée contaminait au moins la moitié des membres de sa famille.
De plus, le traçage réalisé par les équipes de la Sécurité sociale et des ARS, assuré par téléphone, devient de moins en moins efficace. Comme le relève une note de la CNAM, la communication auprès des malades et de leur cas contacts est en perte de vitesse : la semaine dernière 85% des patients positifs était joins contre 92% la semaine précédente, et 70% des cas contact l’était contre 87% les semaines précédentes. Si des nouvelles modalités de communication avec les cas contact sont prévue à partir d’aujourd’hui, ces dernières passent par une communication par SMS qui risque d’être encore moins efficace.
Pourtant, nous disposons depuis le mois de septembre de tests antigéniques rapides permettant l’obtention d’un résultat en 15 minutes. Bien qu’un peu moins performants que les tests classiques, leur supériorité en termes d’efficacité est la rapidité d’obtention du résultat qui permet un isolement immédiat et limite ainsi de très nombreuses contaminations. Ces tests auraient pu être utilement utilisés pour les personnels de santé dont les EHPAD, les aides à domicile, dans les entreprises par le biais des services de santé au travail (infirmièr.es, SST…) ou encore pour les vacanciers de la Toussaint avant qu’ils rejoignent leurs familles, composées souvent de personnes âgées, donc vulnérables.
Mais le gouvernement vient d’autoriser tardivement leur emploi et n’en fait pas énormément de publicité car il semble incapable, comme dans le cas des masques au mois de mars, de mettre en place une politique d’approvisionnement efficace. Pour l’instant seuls 5 millions de tests sont commandés alors que pour stopper l’épidémie nous aurions besoin de 50, voire de 100 millions de tests.
Tout comme c’est le cas pour les tests PCR menés par les laboratoires privés sur lesquels le gouvernement n’a aucune prise, aujourd’hui aucune stratégie nationale n’existe sur les tests antigéniques : 5 millions de test auraient été achetés mais nous ne savons pas qui les a commandés ? Qui pilote ces commandes ?
Chaque acteur de la santé semble s’approvisionner de son côté, sans régulation nationale garantissant une bonne distribution sur le territoire et sans négociation nationale qui permettrait l’achat en gros à des prix plus faibles. A contrario du contact tracing, cette mission c’est une mission qui devrait être confiée à la sécurité sociale, qui finance lesdits tests. C’est tout à fait le cadre de ses missions de santé publique. Centraliser les achats, organiser la distribution et la répartition au travers des services de la sécurité sociale eut-été un gage d’efficacité ainsi que l’assurance d’un approvisionnement équitable sur tout le territoire.
Le gouvernement impose un dispositif lourd, (tout en laissant une multitude d’acteurs, y compris privés, faire comme ils le veulent), démesuré afin de masquer son incapacité à apporter des solutions de grande ampleur comme le testing de masse, l’apport de protections suffisantes et ce, depuis le début de l’épidémie. En cause : ses choix politiques antérieurs (comme accepter et favoriser les délocalisations des industries de santé, la diminution des budgets de recherche, politique d’économie libérale) et ceux d’aujourd’hui, de poursuivre le démantèlement de la Sécurité Sociale et des services publics et plus particulièrement ceux de santé et d’action sociale pendant la crise sanitaire. Le PLFSS qui vient d’être adopté en est l’exemple criant.
2) Concentrer toutes les ressources de la Sécurité Sociale sur la COVID annonce une catastrophe sociale et sanitaire
Après avoir usé les soignants pourtant présentés comme des « héros », le gouvernement sur-mobilise les personnels de la Sécurité Sociale au sein des « brigades d’anges gardiens » comme aime à les appeler le ministre de la Santé, Olivier Véran.
Composé de personnels de la Sécurité Sociale de différents secteurs (assistantes sociales, médecins, liquidateurs d’indemnités journalières…) et issus de tous les régimes, ils représentent aujourd’hui plus de 5000 ETP internes aux différents régimes + 3500 CDD (dont CDD très courts, juste pour le Week-end afin qu’il n’y ait pas de majoration sur leurs salaires). Autant de personnels qui n’assurent plus leurs missions quotidiennes, mais néanmoins indispensables pour les patients et les usagers. La mise en place de ces brigades est également l’occasion pour le gouvernement et nos directions de s’attaquer au droit du travail des salariés du secteur.
Ces équipes sont sur-mobilisées sept jours sur sept, week-end compris, depuis le mois de mai dernier. Ces personnels, déjà en surcharge de travail depuis des années, en conséquence des différentes COG (convention d’objectif et de gestion), qui ont entrainé la fermeture d’organismes, la suppression de milliers de postes, l’absence d’embauche, le non remplacement des départs en retraites, ne peuvent plus assurer aujourd’hui les missions qui leur sont dévolues.
À l’instar du système de santé qui est incapable du fait du manque de moyen de gérer à la fois les malades habituels et une augmentation de l’activité liée à l’épidémie, les services de Sécurité Sociale ne parviennent plus à répondre à leurs missions premières. Le traitement des dossiers prend du retard et s’accumule sans répondre aux besoins urgents des populations sur le terrain. Les organismes de la Sécurité Sociale ne peuvent plus assurer leurs vraies missions, garantir des droits et payer des prestations puisque les agents mobilisés dans ces brigades ne sont pas remplacés. En mettant la priorité sur les brigades covid, ce sont tous les assurés qui en subissent les conséquences et en particulier les plus précaires qui n’ont plus accès aux services qui les accompagnent dans l’accès aux droits et aux soins (service social, Pfidass…).
Là encore ce dispositif est une bombe à retardement au niveau social et sanitaire dans les mois à venir.
3) Un fichage aussi inquiétant qu’incontrôlé
Bien que le recours au testage massif ait été présenté comme le meilleur rempart à la propagation de l’épidémie, le gouvernement français a préféré instaurer un système d’information géré par l’assurance maladie pour lutter contre l’épidémie.
Ce système repose sur la création de deux fichiers nationaux : le premier, baptisé « Sidep », recense les informations en provenance des laboratoires de biologies médicales lorsqu’un patient a été testé positif au virus et le second,« contactracing », liste les personnes qui ont côtoyé le malade.
Les modalités de fonctionnement soulèvent des graves inquiétudes : Qui gère le stockage des données ? Quel est l’hébergeur de la plateforme stockant les données ? Quel niveau d’accès aux données médicales confidentielles ? Comment circulent-elles ? Des réseaux sécurisés ? Quelle utilisation coercitive si les brigades constatent par l’accès au fichier personnel que les personnes contactées ne se sont pas faites tester ?
Les informations d’un patient recueillies concernent son nom, ses coordonnées, ses résultats médicaux mais aussi sa profession, son lieu de travail, ses déplacements… ainsi que les noms et coordonnées de tous ses contacts.
Outre le fait que ces données soient stockées sans le consentement des personnes, la confidentialité des données personnelles et médicales n’est pas assurée. Les salariés de l’assurance maladie, pour la plupart non assermentés ont connaissance de ces données médicales.
L’assurance maladie est donc rendue complice du plus grand fichage de données sensibles pour palier un manque cruel de moyens directement lié aux politiques ultra libérales de nos gouvernants.
Ce système d’information a permis de ficher a minima plus de 3,6 millions de personnes en France identifiées et contactées par les enquêteurs de l’Assurance Maladie (1 million de patients diagnostiqués positifs à la Covid et2,6 millions de cas contact) sans pour autant réussir à limiter la propagation du virus et à empêcher un nouveau confinement.
Il est à la fois inopérant pour protéger la population, intrusif et dangereux en matière de libertés individuelles et publiques.
En effet, aucune protection des données n’est prévue, ce fichier pourrait ensuite être croisé et ouvert au milieu assurantiel et aux mutuelles d’entreprise, aux employeurs, quelle « personne contact » fichée « covid » (maladie dont on ne connait pas encore les séquelles à plus ou moins long terme) pourra contracter un prêt ou accéder à un emploi sans discrimination ?
Ce dispositif est une remise en cause profonde des valeurs professionnelles de ces métiers en allant à l’encontre de leur code déontologique.
Une fois de plus, ce gouvernement dans un cynisme le plus total se sert de cette crise sanitaire pour mettre à mal les libertés individuelles.
4) Pour répondre sérieusement à l’épidémie, la CGT exige :
- 1) L’arrêt des plateformes de contact tracing devenues inefficaces afin que les personnels de la Sécurité Sociale puissent revenir à leurs missions
- 2) La généralisation des tests antigéniques à toute personne ayant un doute sur son état de santé.
Partout sur le territoire, auprès de tous les professionnels de santé (hôpitaux, médecins, maisons de santé, pharmaciens, EHPAD, prisons, médecins et infirmiers du travail et de l’éducation nationale etc.) des tests antigéniques doivent être distribués. Dès qu’une personne a un doute, elle doit pouvoir se faire tester et s’isoler en cas de résultat positif. Les tests PCR ne doivent être mobilisés que pour confirmer les tests antigéniques en cas de doute, ce qui permettra de désengorger les laboratoires. Les résultats rapides permettent un isolement et une protection rapide de l’entourage de la personne. Il faut pour cela construire un approvisionnement en nombre suffisant des tests antigéniques et des futurs tests en attente d’homologation.
- 3) Le déploiement des solutions d’isolement des personnes contagieuses
Les personnes porteuses du virus doivent pouvoir être isolées de manière efficace chez elles, et quand cela n’est pas possible, des chambres d’hôtel et des services d’aide familiale pour la garde des enfants et permettant l’isolement doivent être mises à leur disposition comme l’ont pratiqué les pays ayant réussi à sortir de l’épidémie. Ce système doit prévoir une attention particulière aux plus précaires et aux plus fragiles.
Un dispositif sécurisant qui, pour être efficace doit être accepté de tous et donc doit reposer sur un ensemble de garanties et prévoir une attention particulière aux plus précaires et aux plus fragiles. Le maintien de l’emploi et le maintien à 100% des ressources financières des personnes isolées doit être un prérequis à l’isolement.
- 4) Une politique nationale de gestion et de régulation des tests menée par la Sécurité Sociale ancrée dans les territoires
La coordination des soins sur le territoire revient aux services de l’État via les préfets et les agences régionales de santé. Force est de constater que cette coordination peine à répondre aux besoins urgents de la population.
Pour la CGT, cette coordination doit revenir à la Sécurité Sociale. Elle a démontré une fois encore sa capacité à se mobiliser pour répondre à la crise sanitaire. Si elle ne doit pas s’enfoncer dans un dispositif devenu inefficace et coûteux elle est en capacité de prendre toute sa place dans la gestion de cette crise. Les différentes organisations de la Sécurité sociale ont montré leur faculté d’ancrage sur le territoire et elles sont en lien direct avec la plupart des professionnels de santé du pays. Elle est de plus dotée d’instances nationales en réseau avec les CPAM et avec les professionnels de santé. La Sécurité Sociale pourrait être à même de réguler cette politique de dépistage et d’isolement massif grâce à son réseau de proximité.
Le gouvernement doit lui donner les moyens de négocier au niveau national l’achat des tests pour pouvoir négocier des prix bas et arrêter de creuser ses dépenses. Elle doit pouvoir ensuite réguler leur utilisation sur le territoire et les distribuer grâce à ses réseaux. La Sécurité Sociale peut aussi s’appuyer sur ses réseaux pour informer et former l’ensemble des personnes qui seraient habilitées à faire ces tests et à aider à l’isolement.
- 5) L’annulation du fichage des personnes ayant été contactées par les services de contact tracing
Un dispositif de traçage ne nécessite pas la constitution d’un fichier. La CGT demande la destruction immédiate des fichiers de données créés lors du contact tracing, lesquels n’ont aucune raison d’être.
4) Donner les moyens humains au système de santé et aux organisations de la Sécurité Sociale de répondre aux besoins de la population
La première urgence est de donner les moyens humains aux EHPAD, aux hôpitaux et aux établissements médicaux-sociaux ainsi qu’aux organisations de la Sécurité Sociale afin qu’ils puissent répondre aux besoins de la population.
La CGT réclame :
- - Un plan de d’embauche massif d’au moins 400 000 personnes pour la santé : 100 000 à l’hôpital, 200 000 en EHPAD, 100 000 aides à domicile.
- - L’embauche immédiate des CDD mobilisés depuis le mois de mai par le contact tracing pour répondre aux coupes drastiques des dernières années et donner les moyens aux organismes de la Sécurité Sociale de répondre aux besoins croissants.