la CGT de Loire Atlantique (44)
74e anniversaire massacre Châteaubriant
mardi 27 octobre 2015

Intervention Philippe Martinez - Dimanche 25 octobre 2015

Le 22 octobre 1941, ils furent 27 à tomber sous les balles assassines de l’armée allemande.

Vous le savez, ce crime a eu lieu dans la carrière de la Sablière, près du camp de Choisel, à Châteaubriant.

Le même jour, 16 autres otages étaient fusillés à Nantes et 5 au Mont Valérien. Deux jours plus tard, ils étaient 50 à être exécutés à Souges. Le 15 décembre 1941, les nazis viendront encore prélever 9 otages du camp de Choisel.

Et il y en eu bien d’autres exécutions encore par la suite.

Qui étaient ces 27 fusillés de Châteaubriant ?

Ils étaient des ouvriers, des intellectuels, des étudiants, des élus du peuple. Le plus jeune d’entre eux avait 17 ans, il s’appelait Guy Môquet, le plus âgé avait 58 ans, son nom était Titus Bartoli.

Tous étaient différents, chacun avait sa singularité, et pourtant une même force traversait chacun d’entre eux, celle qui redonne à l’Homme toute sa grandeur.

Ce qui rassemblait ces hommes, c’était une soif d’idéal, une passion pour la justice sociale et la liberté, une aversion pour l’oppression, un amour de la France. C’est à l’esprit de résistance que ces 27 ont donné chair. Car tous étaient des résistants de la première heure.

Ils étaient aussi gouvernés par une volonté de transformation sociale. Tous étaient communistes, et plusieurs d’entre eux, syndicalistes. Châteaubriant fut une rude épreuve pour la CGT. Parmi eux se trouvaient des grands dirigeants de fédérations de la CGT (Jean Grandel des PTT, Désiré Granet du Papier-Carton, Charles Michels des Cuirs et Peaux, Jean Poulmarch des Produits chimiques, Jean-Pierre Timbaud des métaux, Jules Vercruysse du Textile).

Que reprochait-on à ces camarades ?

De s’être insurgés contre l’occupant allemand et leurs complices de Vichy.
D’avoir combattu pour la France, la République, pour leur liberté, pour la Liberté.
D’avoir pensé qu’un monde meilleur était possible.
D’avoir osé résister.

Face à l’oppression, au fanatisme, aux injustices …, chaque individu a le choix d’agir ou de ne pas agir. Il est des décisions qui nous rendent plus grands, qui nous élèvent.
Il en fallait du courage pour entrer en résistance.

Alors que les bottes allemandes battaient le sol français et que le gouvernement de Vichy chassait les « terroristes », ce choix n’était ni simple, ni facile.

Il faut rappeler que la plupart de ces héros de Châteaubriant avaient été frappés par la répression dès le commencement de la drôle de guerre. Ils avaient été alors privés arbitrairement de leurs mandats politiques, écartés par la force de leurs fonctions syndicales.

La classe ouvrière était ressortie affaiblie par l’échec de la grève générale de novembre 1938. Elle fut alors malmenée, frappée par l’esprit revanchard du patronat, par l’anticommunisme dominant et conquérant. Après la déclaration de guerre, la chasse aux communistes fut officiellement ouverte. Ce fut le cas également à la CGT. Les communistes en furent alors exclus et nombre d’entre eux, traqués, durent alors affronter la clandestinité ou la prison.

La défaite de 1940 a déstabilisé un peu plus le pays. Chacun devait se guider avec sa propre boussole. Des dirigeants syndicaux s’engageront dans la collaboration avec Vichy et les Allemands, d’autres se tiendront dans l’expectative tandis que les exclus de 1939, sous la direction de Benoit Frachon, prendront le chemin de l’honneur, celui de la lutte contre le régime de Pétain et des occupants nazis.

Mais ces derniers ne l’entendaient pas ainsi. Il fallait faire un exemple, empêcher les premiers actes de résistance et tuer dans l’œuf tout espoir. Il fallait créer la peur.
On le sait, c’est le contraire qui advint. Car ce sacrifice de nos camarades a finalement donné du courage. Le retentissement fut grand dans toute la France. A la BBC, le Général de Gaulle mit aussitôt en garde les oppresseurs : « En fusillant nos martyrs, l’ennemi a cru qu’il allait faire peur à la France et ailleurs ! La France va lui montrer qu’elle n’a pas peur de lui ». Des grèves furent déclenchées, à l’exemple de celle des ouvriers de l’Arsenal de Brest le 25 octobre.

Les Castelbriantais, bravant l’occupant, vinrent fleurir l’emplacement des poteaux d’exécution.

Après Châteaubriant, la Résistance s’enrichit de nombreux militants.

Nous ne devons pas effacer des mémoires ce qu’a été le rôle de la classe ouvrière pendant cette guerre totale.

On tente de nous convaincre chaque jour qui passe que notre combat de transformation, de progrès social est un combat du passé, d’arrière-garde ; que dans ce nouveau monde les solutions sont à inventer et que, pour cela, il faut cesser de regarder en arrière. Quelle belle supercherie !

Mais que veulent-ils que nous oublions ?

Qu’à plusieurs reprises dans l’histoire la classe ouvrière a su s’unir, se lever, bousculer l’ordre dominant et arracher le progrès social.
Que dans les heures sombres de la guerre, le patronat avait choisi le camp de l’ennemi, criant « Plutôt Hitler que le Front populaire », rêvant de se venger de son humiliation de 36, de ces militants qui avaient eu l’affront de lui arracher des avancées sociales majeures : semaine de 40 heures, congés payés et premières conventions collectives.

Et bien nous, nous refusons d’oublier.

Nous refusons d’oublier par exemple qu’à Châteaubriant, c’est un patron français, Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur du maréchal Pétain, qui dressa la liste des 27 martyrs.

Nous refusons d’oublier et nous affirmons, haut et fort, que ce passé est notre fierté. Nous avons une dette vis-à-vis de ces militants. Les mots inscrits, peu avant l’exécution, par Guy Môquet sur une des planches de leur baraque : « Les copains qui restez, soyez dignes de nous ! » ne doivent pas tomber dans les oubliettes de l’histoire. Ces mots résonnent encore aujourd’hui et nous aident à grandir. Ils font partie du combat syndical.

Si le massacre de Châteaubriant est d’abord une tragédie, c’est aussi une page glorieuse de l’histoire du monde ouvrier, et de l’histoire de France plus généralement, car elle fut écrite avec le sang d’hommes de courage et de conviction.

Cette histoire doit être partagée par tous, elle doit traverser toutes les barrières, casser les cloisons, quelles qu’elles soient. Elle doit être enseignée aux jeunes générations car elles ont beaucoup à y puiser. Les valeurs et engagements portés par ces militants restent d’une grande actualité. Elles ont une valeur universelle, intemporelle. Les accepter comme références, comme repères dans notre action citoyenne, militante, politique nous tirent vers le haut. Cette histoire, c’est notre avenir car elle nous parle de dignité humaine, d’engagement et de courage.

Pour cela, il nous faut veiller à son entièreté. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient l’édulcorer, la dénaturer. Nous ne devons pas laisser s’effacer des mémoires que les fusillés de Châteaubriant étaient des syndicalistes et que leur action résistante avait une portée transformatrice. La place négligeable ou nulle donnée à la classe ouvrière lors des récentes commémorations officielles autour du 70e anniversaire de la fin du Second Conflit mondial montrent que ce danger est réel.

Nous sommes de plain-pied dans la bataille idéologique. Et l’Histoire est au cœur de ces enjeux. Pour les dominants, il s’agit notamment d’effacer les repères et le sens des combats de la résistance. Si l’on connait plus ou moins bien le rôle joué par la Résistance dans la libération du territoire, on connait encore beaucoup trop mal son travail pour reconstruire une République sociale. La CGT pris sa part dans ce combat. Son implication dans l’élaboration du programme du Conseil National de la Résistance et dans sa mise en œuvre après la guerre en témoignent.

Oublier tout ceci ferait le bonheur du patronat qui rêve de déconstruire les conquis sociaux issus de 36 ou de l’après-guerre.

Pour aller de l’avant, avancer, construire l’avenir, il faut donc savoir se ressourcer et pour cela garder un œil dans le rétroviseur. Le sacrifice de nos camarades et frères nous aide à penser l’avenir. Il est pour les militants d’aujourd’hui une source d’énergie inépuisable. Il nous enseigne sur la grandeur de l’homme, sur la force des convictions, sur la force du collectif. Il nous dit que rien n’est jamais perdu, qu’il faut se battre pour ses idées et y croire, même dans les moments les plus sombres.
La CGT conjugue au présent ces valeurs qui sont au cœur des combats d’aujourd’hui. Ces combats, nous les menons en toute humilité au regard de ce que vous avez été, de ce que vous avez accompli en essayant de poursuivre la route que vous avez tracé.

Nous sommes solidaires et internationalistes lorsque nous nous battons pour faire valoir un droit international, le droit d’asile pour des dizaines de milliers de réfugiés, femmes, hommes et enfants, fuyant la guerre et les bombes ou voulant échapper à la misère. Il est du devoir des états européens, de la France, pays des droits de l’homme, d’accueillir ces réfugiés.

Face à ces drames, on ne discute ni sur le nombre, ni sur la nationalité ou la religion, on ne construit pas des murs, on n’érige pas des barbelés, on agit et on ouvre les portes en grand.

Nous sommes profondément antiracistes fidèles à la belle histoire de notre pays dont vous êtes un des plus beaux symboles. Vous, hommes et femmes d’origines et de nationalités différentes qui combattirent ensemble dans la résistance pour libérer la France de la barbarie nazie. Nous luttons aujourd’hui contre ceux qui divisent le monde du travail en pointant les émigrés, leur couleur de peau comme la cause de tous les problèmes de notre société et notamment le chômage. Cette lutte contre le racisme, nous devons la mener partout y compris dans les entreprises où le front national crache son venin et sa haine de l’autre. Ce parti qui trouve de plus en plus la bienveillance de certains médias, est beaucoup moins bruyant pour dénoncer les méfaits du capital.

Aussi, nous pensons être fidèles à ce que vous nous avez transmis dans notre lutte pour la régularisation de tous les travailleurs sans papiers.

Nous contestons les politiques d’austérité et les drames qu’elles génèrent. Nous sommes indignés lorsqu’un ministre de la république, le premier d’entre eux, accoure pour réconforter une direction d’entreprise et n’a pas un mot pour des salariés en colère alors que 2900 d’entre eux, risquent d’être licenciés.

Pire encore, lorsqu’il les traite de voyous et envoie la police chez eux au petit matin pour en placer 6 en garde à vue comme les pires des malfrats. On le sait, le chômage, ce sont des vies brisées, des familles brisées, la mort parfois dans la rue ou par désespoir. Oui, le capital fait des ravages partout sur la planète au nom des profits et de la rentabilité financière. Combattre les injustices, toutes les injustices et elles sont nombreuses, c’est dans notre ADN. Nous ne pouvons, nous résigner à ce que la génération actuelle vive plus mal que celle qui l’a précédé.

C’est pourquoi nous proposons des alternatives pour construire une société plus juste basée sur le progrès social.

C’est le sens de nos propositions de réduction du temps de travail, d’une sécurité sociale professionnelle par exemple. La modernité, c’est cela et non le retour au 19e siècle comme nous le propose le MEDEF.

En cela aussi, nous pensons être fidèles aux idéaux de nos ainés lorsqu’ils conjuguaient, résistance et élaboration du programme du CNR.

Oublier cette leçon d’humanité, cette vision de la société, celle que vous nous avez transmise, serait dramatique.
Dans ce combat contre l’oubli, nous devons féliciter le travail réalisé par l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé, Aincourt. Je remercie plus particulièrement Odette Nilès, Présidente de l’Amicale, qui continue de mettre, presque infatigable, toute son énergie dans cette bataille essentielle. Ce remerciement doit être d’autant plus appuyé cette année que l’Amicale fête cette année son soixante-dixième anniversaire.

Il y a 70 ans en effet naissait, par la volonté des anciens internés du camp et des familles de fusillés, l’Amicale « des Anciens Internés Politiques de Châteaubriant-Voves ».

La CGT était partie prenante de cette fondation. C’est d’ailleurs un syndicaliste, un des dirigeants CGT de la Fédération de l’Energie, Léon Mauvais, qui s’évada du camp de Châteaubriant avec Eugène Henaff en juillet 1941, qui en sera le premier président.
A n’en pas douter, l’Amicale a encore de beaux jours devant elle. Ce n’est pas à un baroud d’honneur auquel nous assistons aujourd’hui. On peut souhaiter que ce 70e anniversaire soit l’occasion de franchir une nouvelle étape dans son développement.
Tu sais, chère Odette, que tu peux compter sur l’engagement total de notre Confédération. Nous continuerons d’honorer la mémoire toujours vivante de ces militants, de ces syndicalistes, qui ont fait le sacrifice de leur vie parce qu’ils croyaient qu’un monde meilleur était possible. La CGT n’acceptera jamais que soit effacée ou tronquée cette mémoire.

Nous tâcherons d’être dignes de nos camarades et frères sacrifiés pour construire un monde meilleur aux générations futures.