la CGT de Loire Atlantique (44)
De la non-attractivité de certains métiers
mardi 28 septembre 2021

En usant du slogan des soi-disant « 300 000 emplois non occupés », le gouvernement et le patronat occultent volontairement les raisons pour lesquelles certains secteurs peinent à recruter : des conditions de travail extrêmement dégradées, des travailleurs dévalorisés et une perte de sens du travail effectué.

Ainsi, s’il est vrai que certains secteurs d’activité rencontrent des difficultés à recruter, la cause n’est pas à chercher du côté des travailleurs mais des conditions de travail et sociales.

DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT, MAIS OÙ ? CE QUE DIT PÔLE EMPLOI

En 2021, Pôle emploi [1] a publié le top-10 des métiers rencontrant le plus de difficultés à recruter. Il s’agit :

• des métiers du bâtiment et de la construction requérant des compétences très spécifiques (charpentiers, couvreurs, géomètres et tuyauteurs) ;

• d’autres métiers, en dehors de la construction, qui nécessitent également des compétences particulières comme les régleurs, les carrossiers automobiles ou encore les mécaniciens et électroniciens de véhicule ;

• les médecins et les vétérinaires. Il s’agit là de métiers aux formations très longues et soumises à numerus clausus. Ces difficultés de recrutement ne doivent donc rien au hasard mais font suite à des choix politiques qui ont organisé la pénurie. La levée des numerus clausus est évidemment une partie de la solution mais elle ne commencera à produire des effets que dans une dizaine d’années compte tenu de la durée de formation à ces métiers ;

• les « aides à domicile et aides ménagères ». Les difficultés de recrutement s’expliquent notamment par des besoins en augmentation constante, aux conditions d’emplois et de travail très difficiles alors même que les salaires sont généralement au niveau du Smic ou très légèrement au-dessus et souvent avec des temps partiels subis.

MANQUE D’ATTRACTIVITÉ DE CERTAINS MÉTIERS : POURQUOI ?

Dans le cadre du groupe de travail « Réponses à la crise », le ministère du Travail a engagé dès l’automne 2020 une concertation autour du thème des métiers dits en tension. La CGT avait alors établi plusieurs constats qui demeurent d’actualité.

LE SALAIRE : PREMIER FACTEUR D’ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS

Le salaire, comme reconnaissance du travail et des qualifications, est un élément essentiel pour le recrutement des salariés mais également pour les garder en emploi.

Quels que soient les secteurs ou filières, les constats de nos organisations se ressemblent, ainsi :

• des niveaux de salaires qui ne permettent pas de recruter des métiers qualifiés, comme les kinésithérapeutes ou les orthophonistes dans l’hôpital public, qui préfèrent aller dans le libéral ainsi que les infirmiers et infirmières ;

• des salaires qui au mieux stagnent ou même souvent diminuent en termes de pouvoir d’achat dans les secteurs qui recourent fortement à l’emploi précaire – formation, spectacle…

• des revenus qui ont diminué au fil des années en raison de l’annualisation du temps de travail, comme dans le secteur des travaux publics, qui n’est plus attractif alors que c’était un secteur à haut potentiel d’intégration sociale ;

• des salaires proches du Smic pour des métiers correspondant à des bas niveaux de qualification mais à haut niveau de technicité. Ces bas salaires ne reconnaissent pas les savoir-faire, par exemple dans les métiers du cuir et de l’habillement ;

• des salaires qui ne prennent pas en compte l’ensemble du travail : les temps de déplacement, de préparation par exemple, ou encore les temps de corrections des copies pour les formateurs ne sont pas payés. Dans les secteurs « passion », comme le sport, certaines activités sont souvent rémunérées en défraiement (quand elles le sont) ;

• des grilles de salaires tirées vers le bas, qui ne correspondent plus aux niveaux de qualification exigés à l’embauche. Cette situation favorise alors la négociation au de gré à gré dans les entreprises lors des embauches et entraînent ainsi des inégalités criantes entre les femmes et les hommes, comme dans le secteur des banques ;

• des grilles de classifications qui ne permettent pas de déroulement de carrière et n’offrent pas aux salariés la capacité de se projeter dans l’entreprise ou dans la branche ;

• des bas salaires qui provoquent dans certains secteurs des économies parallèles : ainsi, dans le secteur de la coiffure, certains travailleurs optent pour offrir leurs services à domicile, sans que l’activité ne soit déclarée. L’emploi qualifié et salarié se retrouve en concurrence avec l’emploi non déclaré ou le travail « au noir »…

LA QUALITÉ DE L’EMPLOI

Au-delà de la question salariale stricto sensu, la tension exercée sur les métiers par le patronat atteint aussi la qualité de l’emploi. Ainsi certains secteurs/branches n’hésitent plus à faire sortir le travail et le salariat des entreprises, dans l’objectif court-termiste d’augmenter la flexibilité et donc les profits. Ainsi, dans le secteur de la construction ou des chantiers navals, les entreprises ont commencé par licencier ou par arrêter de recruter en interne, au profit d’abord du recours à la sous-traitance, et maintenant du recrutement de travailleurs détachés. Cela a des conséquences dramatiques sur les territoires en matière d’emploi :

• dans la construction on compte plus de salariés formés et qualifiés que d’emplois, alors que le secteur a recours massivement aux travailleurs détachés ;

• dans les chantiers navals, les politiques patronales ont déqualifié les salariés et les bassins d’emploi et il est impossible aujourd’hui de recruter des soudeurs étanches.

Comble du cynisme, cela devient aujourd’hui un prétexte pour recourir au dumping social qu’offre la directive sur les travailleurs détachés !

Il faut également ajouter le développement du micro-entreprenariat et d’autres formes d’emplois plus récentes comme le portage salarial ou l’ubérisation (les travailleurs des plateformes). Si ces « statuts » mettent en avant l’autonomie, l’indépendance ou la « liberté » d’être son propre patron, force est de constater qu’ils permettent surtout aux entreprises de se défaire de leurs salariés pour réduire leur masse salariale, tout en continuant de disposer, bien souvent quasi exclusivement, de leurs qualifications dans une relation totalement individualisée sans garde-fous protecteurs pour le micro-entrepreneur ou le travailleur ubérisé.

L’EXEMPLE DES MÉTIERS DE DEUXIÈME LIGNE

La crise du Covid-19 a mis en lumière un certain nombre de métiers dit de deuxième ligne qui ont été fortement sollicités pour assurer les tâches nécessaires à la vie quotidienne de la population. Une étude de la Dares, réalisée en mai 2021, compte 17 professions différentes (hors métiers de la santé, dits de première ligne) pour au total 4,6 millions (dont 44 % de femmes) de salariés du secteur privé. Ces derniers ont dû exercer leur profession le plus souvent sans protection et ont été exposés aux contaminations en raison de leurs contacts avec d’autres personnes, telle que les aides à domicile, caissières, conducteurs, agents d’entretien, agents de sécurité, gardiennage, ouvriers du bâtiment, boulangers, bouchers…

L’étude montre qu’ils exercent deux fois plus souvent en CDD (10,5 % contre 7,5 % des salariés du privé) ou en intérim (7,2 % contre 3,1 % pour l’ensemble des salariés) avec de faibles durées de travail hebdomadaires et percevant des salaires de 30 à 40 % inférieurs.

La part des bas salaires (inférieurs à 1 246 euros net) est plus élevée dans les métiers de la deuxième ligne que dans l’ensemble du secteur privé (18,0 %, contre 11,9 %, soit 1,5 fois plus). Elle atteint 43 % pour les aides à domicile et aides ménagères, 28 % pour les ouvriers non qualifiés du second oeuvre du bâtiment, 27 % pour les agents d’entretien, les maraîchers jardiniers viticulteurs, et les vendeurs en produits alimentaires.

Ces métiers ont des possibilités d’évolution limitées et des carrières instables.

L’accès à la formation est également plus restreint. L’étude montre que l’accès à la formation sur cinq ans a concerné 34,4 % des travailleurs contre 38 % pour l’ensemble des salariés.

Globalement ces travailleurs connaissent :

• des conditions de travail plus difficiles que les autres salariés du privé ;

• une accidentologie particulièrement élevée : deux fois plus d’AT déclarés au cours de leur travail lors des 12 premiers mois (20 % d’entre eux contre 11 % des salariés du privé)

• des contraintes physiques élevées : 61 % des salariés de la 2e ligne sont exposés à au moins trois d’entre elles contre 36 % pour l’ensemble des salariés du privé.

• une exposition à des fumées, poussières ou produits dangereux (65 % contre 43 %) et 80 % pour les ouvriers du bâtiment ;

• les risques infectieux plus présents (37 % contre 27 %) avant covid. Ils s’élèvent à 62 % pour les aides ménagères et 55 % pour les agents d’entretien ;

• ce sont de manière globale des métiers avec des durées de travail faibles et des horaires atypiques :

Les conditions de travail rendent difficiles la poursuite d’une activité prolongée dans ces métiers.

FOCUS SUR LES PROFESSIONNEL·LE·S DE L’AIDE À DOMICILE

Le métier d’aide à domicile illustre parfaitement ces constats. En effet, les professionnel·le·s de ce secteur sont en très grande majorité des femmes (97 %) (Dares 2014) dont la rémunération moyenne dans l’associatif est de 1 520 euros (rapport Ruffin-Bonnel) avec pour conséquence un taux de pauvreté (17,5 % ) deux fois supérieur au taux moyen de l’ensemble des salarié·e·s (6,5 %) (Rapport El Khomri, 2019).

Selon la branche (associatif, entreprises privées…), entre 70 % et 90 % des salarié·e·s sont à temps partiel avec un temps de travail fractionné puisque de nombreuses tâches (aide à la toilette, lever et coucher, repas) sont réalisées sur des plages horaires restreintes. De plus le temps de trajet entre les différents domiciles n’est pas toujours pris en compte.

De manière générale les travailleur·se·s de ce secteur connaissent des conditions de travail difficiles (posture, rythmes de travail…) qui se traduisent par un grand nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles, trois fois plus fréquents que la moyenne avec un indice de 94,6 accidents du travail pour 1 000 salariées (Rapport Ruffin-Bonnel).

Ces accidents s’expliquent en particulier par la manipulation des corps des personnes âgées ou en situation de handicap qui est très compliquée mais également par le manque d’accès à des formations qui permettraient à ces professionnel·le·s de mieux exercer leur métier et d’en réduire la pénibilité. Les études montrent que la sinistralité du secteur est 4 fois supérieure à la moyenne nationale, même par rapport au bâtiment. L’âge moyen des salarié·e·s licencié·e·s pour inaptitude est de 49 ans et demi, pour une ancienneté de neuf ans dans le secteur…