la CGT de Loire Atlantique (44)
1936, les accords de Matignon et le Front Populaire
mardi 23 février 2016

Il n’est pas rare encore aujourd’hui que les syndicats de la CGT fassent référence à la victoire du Front Populaire , des grèves de 1936 , de l’ occupation des usines , des accords dits de Matignon du 7 juin 1936 , dont les 40 heures , les 15 jours de congés payés , les délégués du personnel , les augmentations des salaires ont été les principales conquêtes.

Comme tous les mouvements sociaux et sociétaux , ceux de 1936 ne sont pas tombés du ciel mais précédés de luttes sociales , de conquêtes de nouveaux droits , de bataille d’idées , de défense de la République , de la laïcité , de la paix.

A chaque période de son histoire le monde du travail a su conquérir des droits sociaux importants , que le patronat et les gouvernements ont du concéder devant la force du mouvement social , devant son exigence de Front Syndical Commun et de lutte.

Le patronat et les gouvernements successifs qui l’ont soutenu n’ont eu de cesse que de remettre en cause ces conquêtes sociales acquises par les luttes.

Depuis sa création en 1895 , les forces du patronat ont eu des alliés pour diviser l’outil essentiel de défense des salariés , la CGT , qui malgré ses divisions en 1921 et en 1947 , son nom reste profondément attaché au syndicalisme de conquêtes sociales , de lutte et de classe.

En France , le syndicalisme est aujourd’hui divisé en deux grands courants , celui de conquêtes , de lutte , de transformation sociale , et celui de gestion comptable de la société capitaliste.

Après la scission de la CGT de 1921 , le courant de la CGT U (unitaire) syndicalisme de masse révolutionnaire , a fait de son combat pour la conquête pour de nouveaux droits l’exigence de la réunification comme une arme pour le succès des luttes , dans une période de grande crise économique du capitalisme et d’opposer les forces du progrès social à des combinaisons politiques et politiciennes entre la droite et les forces fidèles à la gestion du capitalisme.

La montée du fascisme en Italie et en Allemagne , dans une situation de crise économique identique à celle d’aujourd’hui , a conduit les forces de l’extrême droite à tenter un coup de force pour renverser la République.

Ainsi le 6 février 1934 , l’extrême droite en France , avec une coordination qui touchait Paris, Nantes , Lille, Lyon , Nancy , les Croix de Feu de De La Rocque , les Cagoulards de Deloncle , l’Action Française de Maurras , les Comités Industriels de Pétain , les Jeunesses Patriotiques de Taittinger ,s’unissent dans la sinistre besogne contre la République en se dirigeant vers la Chambre des Députés (aujourd’hui Assemblée Nationale).

Le coup de force de l’ extrême droite échoua , il fut stopper par la Garde Républicaine , mais le danger restait aussi grand.

Dès le 7 février ,Daladier , Président du Conseil, démissionne et laisse la place au vieux réactionnaire Doumergue ,qui par l’intermédiaire du Préfet de police de Paris ,Bonnefoy-Sibour , interdit toutes manifestations.

Ce n’est évidemment pas les factieux qui sont visés, mais la réaction populaire qui grandit face à la montée de l’extrême droite menaçante .

Sans plus attendre la CGT U , le PCF , les fédérations Socialistes de la Seine et Seine et Oise , la fédération autonome des fonctionnaires , lancent un appel à tous les antifascistes pour manifester le 9 février place de la République , bravant l’interdiction . La manifestation rassemble 50.000 personnes (chiffre de la police) face à un déploiement important des forces de police , les heurts sont violents et il y aura 6 morts et plusieurs centaines de blessés.

La réaction à cette tuerie aura lieu le 12 février , la CGT U ,PCF et fédérations Socialistes , les mouvements antifascistes ,des fédérations de la CGT confédérée , malgré le refus de Léon Jouhaux d’y participer, lance un appel commun à manifester , mais sur des parcours différents.

La CGT U sous la direction de Benoît Frachon et de Julien Racamond est très active et les deux flots humains se rejoignent et forment un cortège unique ,avec comme mot d’ordre l’unité des forces syndicales , politiques, pour s’opposer aux fascistes , mais aussi pour réclamer des changements politiques de fond pour le progrès social , l’emploi , la paix.

Cette exigence dans l’action créera les bases du Front Populaire , de l’unité syndicale CGT U CGT dans une seule organisation CGT.

Cette manifestation du 12 février 1934 se fera dans toute la France , ainsi en Loire Inférieure (L. Atl.) à St Nazaire il y aura de 12.000 manifestants et près de 20.000 à Nantes.

Forts de leur succès du 12 février ,et de leurs retrouvailles , les travailleurs développèrent de plus en plus unitairement leurs grèves pour l’emploi ,les augmentations de salaires et contre les décrets lois qui s’attaquaient aux maigres avancées sociales des travailleurs.

Le combat devenait plus aigu , c’était le combat ‘’ classe contre classe ‘’ des syndicalistes révolutionnaires de la CGT U.

Parallèlement le mouvement des intellectuels ‘’Amsterdam/Pleyel’’,du nom des lieux des deux grands points de rencontre , Amsterdam en Hollande et la salle Pleyel à Paris ,ne restait pas inactif , il crée le ‘’Comité de Vigilance’’ dont le manifeste lancé le 5 mars 1934 éclairait la netteté de ses positions : ‘’Nous ne laisserons pas l’oligarchie financière exploiter ,comme en Allemagne , le mécontentement des foules gênées ou ruinées par elle , nous n’avons pas à conserver le monde présent . Nous avons à le transformer , à délivrer l’ Etat de la tutelle du grand capital , en liaison intime avec les travailleurs’’

Le CCN de la CGT U avait décidé de faire de son combat essentiel la réunification de la CGT , syndicat unique , pour le succès des luttes des salariés , des fonctionnaires , des enseignants , sur des bases de masse et de classe et de celles du congrès d’ Amiens de 1906.

La marche vers l’unité était engagée ,s’appuyant sur l’exigence des travailleurs , de l’entreprise aux directions syndicales ,et devait conduire au développement des luttes et au congrès de réunification de la CGT à Toulouse le 6 mars 1936.

Dans le même temps , les partis politiques PCF ,SFIO , Radicaux , se parlaient et surtout depuis que le PCF lança le 10 octobre 1934 l’idée d’un ‘’ Front Populaire pour le pain , la paix , la liberté dans une France libre et heureuse ‘’

Cet appel au Front Populaire allait resserrer les liens entre classe ouvrière , antifascistes et démocrates de tous milieux et en mai 1935 , les élections municipales qui eurent lieu furent imprégnées de l’esprit ‘’Front Populaire’’.

Dans cet esprit la CGT U prit l’initiative de lancer , pour le 14 juillet 1935, l’idée d’un 14 juillet républicain regroupant les syndicats et les partis politiques de gauche , PCF, SFIO , Radicaux , sous la forme d’un ‘’Comité d’ organisation populaire’’.

Ce fut ce Comité qui s’attela à l’établissement du programme du Front Populaire , dont la partie économique et sociale relevait de la CGT U et de la CGT , qui reprenait pour l’essentiel les revendications des travailleurs , des fonctionnaires et enseignants.

Il n’est pas inutile de rappeler les grandes lignes de ce programme qui en première partie déclarait vouloir relever le niveau de vie ,instituer un fond national de chômage ,réduire la semaine de travail sans réduction de salaire ,attribuer aux vieux travailleurs des retraites suffisantes pour vivre décemment , mettre à exécution un programme de grands travaux d’utilité publique , revaloriser les produits agricoles ,soutenir le coopératives agricoles et refondre la fiscalité.

En deuxième partie du programme l’amnistie générale (notamment des combattants anticolonialistes de la péninsule indo chinoise) la dissolution des ligues fascistes et leur désarmement , la démocratisation des moyens d’expression (les médias) la garantie des libertés dans une démocratie et les moyens et ressources nécessaires à l’exécution du programme (profits et banques).

La troisième partie traitait de la défense de la paix et de la sécurité collective internationale.

C’est sur ces bases que les congrès de la CGT U et de la CGT (confédérée) se tinrent les mêmes jours , du 24 au 27 septembre 1935 , mais dans des lieux différents.

La marche vers la réunification dans la CGT devenait irréversible dans les deux congrès , elle s’ appuyait sur la volonté des délégués des deux congrès ,malgré des réticences venant de fédérations de la CGT confédérée , elle s’appuyait aussi sur les luttes unitaires dans les entreprises qui se multipliaient.

Des réticences oui , ainsi Robert Bothereau (qui fut l’organisateur de la scission de 1947 et de la création de FO) écrivait dans un courrier adressé le 10 octobre 1940 à son ami Bernard de la fédération des employés (sous l’occupation allemande) ‘’Fais appel à tes souvenirs et relis les documents confédéraux. Ignores-tu l’existence des syndicats uniques ? Les pressions subies de toutes parts , l’état d’esprit dans notre mouvement à cette époque ? Quand l’unité s’est faite , elle était inévitable. La vérité est que nous n’avions pas le choix : il fallait accepter avec les garanties obtenues ou bien partir’’.

Le congrès de Toulouse du 5 mars 1936 balaya toutes ces réticences et fut une grande victoire de la classe ouvrière , l’unité retrouvée de la CGT sur les bases de la Charte d’ Amiens de 1906 . Ainsi Benoît Frachon déclarait au congrès à ce propos : ‘’Voyez vous , il ne serait pas bon que dans notre congrès nous réduisions la portée de la Charte d’ Amiens à la lutte pour la défense des syndicats contre un parti …Amiens fut la défense de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Amiens fut le congrès de la lutte de classe . Oui, cette Charte d’ Amiens tant discutée , qui a fait l’objet de tant de controverses dans nos rangs , nous l’acceptons , nous l’ adoptons pour notre CGT réunifiée ,par ce qu’elle est imprégnée de l’esprit de lutte de classe qui est indispensable maintenant. On a parlé des incompatibilités et quelques camarades ont voulu , avec cette question ,écarter tous les autres problèmes. Ce n’est pas la chose essentielle…Nous sommes ici dans un congrès syndical avec des communistes , des socialistes , des anarchistes , des sans parti et cependant nous sommes rassemblés dans un même congrès , avec une même idée : comment faire notre CGT plus grande , plus forte , comment fraterniser ? ‘’

Pierre Sémard des cheminots déclarait par ailleurs :

‘’Deux idéologies principales continuent à s’affronter dans le mouvement ouvrier et dans le mouvement syndical, précisant qu’il s’agissait d’une part des traditions proudhoniennes et, d’autre part , des enseignements marxistes …et qu’il était donc normal que nous soyons devant deux programmes : le programme du Front Populaire et le plan économique de la CGT’’

Des élections législatives étaient fixées aux 25 avril et 3 mai 1936 , le programme du Front Populaire devenait le programme de ces élections , avec en plus ce que le congrès de la CGT avait clairement défini et qui nourrissait les luttes depuis plus d’un an , tant dans le secteur privé que dans la fonction publique.

Le résultat de ces élections donnait une victoire écrasante à la gauche , la répartition des sièges de députés était la suivante : 147 socialistes , 72 communistes , 106 radicaux , 25 USR , 26 divers , soit 376 députés Front Populaire sur 610 députés .

Un gouvernement de gauche s’installe sous la présidence de Léon Blum , les communistes décidèrent de ne pas entrer au gouvernement .

Il est coutume d’entendre que ce soit le gouvernement de Léon Blum qui fut le réalisateur des acquis du 7 juin 1936 à Matignon. Là encore il n’est pas inutile de rappeler ce qui s’est produit dans les entreprises et dans la fonction publique , avant, pendant et après juin 1936 .

Que depuis le début de 1935 , les luttes ont connu un développement important , souvent unitaires entre la CGT U et la CGT confédérée.
La réunification de la CGT a boosté les luttes sur la base des revendications dans les entreprises et dans les bureaux.
Que ces luttes rencontraient une très forte opposition de l’ensemble du patronat soutenu par le gouvernement Daladier et Doumergue qui lui a succédé

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A partir de mars 1936 et la réunification syndicale , la volonté de conquêtes ouvrières devient encore plus forte et après la victoire politique du 3 mai 1936 , pouvant désormais s’appuyer sur un gouvernement de gauche doté d’un programme de progrès social et d’engagements dans sa réalisation , les grèves dans les usines , les magasins , les bureaux , les mines vont être décidées par les travailleurs.

La CGT réunifiée est très active , des militants tels que Frachon , Sémard , Croizat , Sémat , Midol , Racamond , Timbaud et beaucoup d’autres dans tout le pays se dépensent sans compter pour aller au devant des travailleurs et soutenir leurs luttes et la grève totale en juin avec l’occupation des lieux de travail , elles ne se limiteront pas au seul mois de juin comme le montre les statistiques du ministère du travail de l’époque ; Avril 32 grèves , Mai 65 grèves (14.000 grévistes) Juin 12.142 grèves avec occupations (1.830.000 grévistes), Juillet 1.751 grèves dont 639 occupations , Août 542 grèves dont 199 occupations , septembre 589 grèves dont 391 occupations , Octobre 934 grèves , Novembre 363 grèves , décembre 302 grèves .

Comment est venue l’idée de l’occupation des lieux de travail , là encore B. Frachon raconte : ‘’Cette idée dit-il , n’est pas née d’un seul coup dans l’esprit des travailleurs. Elle a cheminée pendant des années , elle a reçu des applications partielles , elle s’est affirmée au cours de l’expérience des salariés qui la pratiquèrent dans les entreprises ou la réaction du patronat était la plus violente , les conditions de travail et de salaires les plus mauvaises. L’expérience ,amène les ouvriers à rester sur le lieu du travail , à s’y enfermer ,à y délibérer et à lutter pour imposer ce droit nouveau qu’ils étaient en train de conquérir. C’est un problème que le syndicat des métaux de la région parisienne s’était posé et Jean Pierre Timbaud s’ était efforcé de faire avancer’’ et B. Frachon va plus loin : ‘’L’occupation des entreprises en 1936 fut une manifestation particulièrement éclatante de ce que l’évolution de la société , des formes de production capitaliste et de l’ exacerbation de la lutte des classes rendent inévitable. Le syndicat dans l’usine est devenu une exigence de la vie à laquelle les patrons devront finalement céder’’

La CGPF (Confédération Générale de la Production Française) dominée par le Comité des Forges (aujourd’hui UIMM) et son dirigeant Lambert-Ribot sont contraints d’ accepter l’invitation du gouvernement Blum à négocier avec la CGT, bien plus c’est le patronat lui-même qui sollicite cette réunion.

Lors de son procès à Riom en 1940 , Léon Blum déclarait : ‘’Je dois à la vérité de dire que l’initiative première est venue du grand patronat . Il précise : que par deux amis communs , Lambert Ribot le fit toucher pour lui demander de provoquer au plus vite le contact sur la base du relèvement général des salaires , avec l’évacuation des usines en contrepartie’’ que la CGT n’acceptera pas de demander l’évacuation des usines aux travailleurs.

Les accords de Matignon du 7 juin 1936 signés par la CGT et la CGPF ,en présence de représentants du gouvernement Blum ont été importants et ont conduits à des décrets lois dès le mois de juin et qui les ont rendu applicables immédiatement : Augmentation générales des salaires de 7 à 15 % moyenne 12 % , loi du 11 juin. Les 40 heures sans perte de salaire , loi du 11 juin. Les délégués d’atelier dans les entreprises ,droit de vote à 18 ans , hommes et femmes. Négociation de conventions collectives , loi du 24 juin , elles seront négociées dans les mois qui suivront ,le nombre atteint 7.000 conventions professionnelles et territoriales.

Grâce aux deux semaines de congés payés les travailleurs peuvent enfin chanter : ‘’il va vers le soleil levant…notre pays’’
Il faut souligner que le patronat avait grande peur que le mouvement social aille bien au-delà des seules revendications économiques et sociales.
Donc la réalité c’est que le gouvernement de Léon Blum n’a que traduit dans des lois les dispositions de l’accord du 7 juin 1936 et que cet accord est le résultat du puissant mouvement de grèves et d’occupations des lieux de travail et aussi le résultat de l’unité de la classe ouvrière dans une seule organisation de lutte.

Pour autant il n’est pas question de sous estimer le rôle qu’a joué le gouvernement de Léon Blum et le caractère positif et progressiste de l’œuvre du Front Populaire , ce fut un point d’appui incontestable d’un vrai gouvernement de gauche aux luttes du monde du travail.

L’exécutif Hollande/Valls/Macron/Sapin et autres lui s’est transformé en point d’appui au patronat pour détruire de manière systématique les conquêtes sociales et collectives des salariés , c’est un autre choix qui ne peut échapper à personne.

La CFTC existante depuis 1919 (née de l’encyclique papal, Rérum Novarum ), n’a que peu participé au mouvement et encore moins à l’occupation des usines , toujours partisane de la collaboration de classe et de l’intérêt commun patrons / ouvriers.

Les accords n’ont pour autant pas mis fin aux grèves avec occupation , notamment sur les salaires dans de nombreuses professions et sur la négociation des conventions collectives , de fait le conflit perdurera toute l’année de 1936.

Des augmentations de salaire importantes seront obtenues dans de nombreuses professions comme le commerce , très en retard ,les mines , la construction et travaux publics , la fonction publique et aussi pour les salariés de l’agriculture et les agriculteurs avec la création de l’ Office National du Blé ( de 70 francs le quintal il passe à 146 francs en moyenne) loi du 11 août 1936.

La réforme du statut de la banque de France et de la SNCF , loi du 31 août 1937. La démocratisation de l’enseignement.
Création du Centre National de la Recherche Scientifique.

Le secrétariat aux sports confié à Léo Lagrange avec participation de la CGT à la commission interministérielle des loisirs.

Mais jamais dans le cadre du système capitaliste les conquêtes sociales sont définitivement acquises , la réaction du grand patronat et de la bourgeoisie ,soutenus par des politiciens qui trahissent leurs engagements , na tardera pas , dès 1937 et 1938 et plus grave encore en 1939 et 1940 .

Des renoncements les gouvernements de Chautemps , puis de Daladier et Pétain ce sera la collaboration avec le grand patronat et l’occupant nazi.

Guy TEXIER (février 2016)

Bibliographie : Au Rythme des jours et Mémoires de luttes de Benoit Frachon.
Esquisse d’une Histoire de la CGT de Jean Bruhat et Marc Piolot. AREMORS 1920 / 1939
Archives Guy TEXIER Le Peuple juillet 1966 et Vie Ouvrière.