jeudi 18 avril 2024

EHPAD privés, le business sur la mort

lundi 11 mai 2020

Les EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), acronyme utilisé pour parler de maisons de retraite médicalisées, sont actuellement sous le feu des projecteurs du fait de la crise du coronavirus. Et pour cause, on dénombre, au 27 avril, plus de 9 000 décès liés au COVID 19 en EHPAD soit près de 40% du bilan humain total, alors même que la comptabilisation des morts est plus restrictive qu’en Belgique notamment [1].

Il est certes évident que le profil à risque des pensionnaires d’EHPAD explique en partie ces chiffres mais leur impréparation ne peut être négligée. C’est bien la privatisation de ce pan de la santé qui est en cause.

1) Des conditions indignes, tant pour les travailleur-se-s que les pensionnaires

À l’image des hôpitaux, les maisons de retraite ont abordé cette crise dans une situation déjà largement dégradée. L’année 2019 a été fortement marquée par des grèves massives afin de signaler les conditions d’exercice déplorables des personnels des EHPAD.

Les conditions de travail sont difficiles au sens où elles ne permettent pas de fournir un service satisfaisant et digne aux pensionnaires faute de moyens et personnels. La situation est pire dans les établissements privés, où il y a 20% de personnels en moins que dans les établissements publics.

À cela s’ajoutent des conditions d’emploi indignes avec des salaires qui ne sont pas à la hauteur de l’utilité sociale du travail fourni. En effet, l’activité des EHPAD repose sur ces emplois à prédominance féminine (essentiellement des aides-soignantes, infirmières et agentes d’entretiens) où règnent les salaires de misère comme le soulignent notamment Rachel Silvera et Séverine Lemière dans une tribune [2] dans le journal Le Monde.

2) Les EHPAD privés, machines à cash

« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » disait Victor Hugo. Voilà qui résume bien la situation des EHPAD privés. En effet, malgré le tableau dépeint précédemment sur la situation des pensionnaires et des personnels des EHPAD, ces établissements n’en sont pas moins extrêmement rentables pour leurs actionnaires.

Si des grandes fortunes comme la famille Mulliez (propriétaire d’Auchan) s’intéressent aux EHPAD, ce n’est évidemment pas par philanthropie. Des établissements d’à peine 100 chambres réalisant quelques millions d’euros de chiffre d’affaires dégagent des résultats de près d’un quart de ce chiffre d’affaires. Certaines utilisent même des montages financiers leur permettant d’éviter l’imposition sur les bénéfices mais également la participation ou l’intéressement des salariés par exemple.


Le scandale des « managements fees » ou transferts de capitaux

Théoriquement, les « managements fees » correspondent au paiement de services rendus entre filiales, c’est-à-dire des achats entre entreprises d’un même groupe mais il peut s’agir de transactions déguisées. En effet, les coûts des services peuvent être surévalués, cela permet de surpayer un service à une filiale pour afficher un résultat économique très faible. Cela peut permettre ainsi de ne pas payer d’impôts sur les sociétés, d’intéressement, de participation ou encore de faire pression sur les salariés en affichant des problèmes économiques.

Dans certains EHPAD, ces transferts de capitaux correspondent à près de 15% de la valeur ajoutée. C’est une astuce comptable très appréciée des actionnaires de ces établissements.


Les maisons de retraite figurent ainsi parmi les investissements les plus rentables en bourse. Le cours du titre du groupe français Orpéa, qui compte plusieurs centaines de maisons de retraite, a bondi de plus de 200% en 10 ans et limite actuellement la casse en comparaison aux autres titres. À croire que les spéculateurs gardent confiance en la capacité des maisons de retraites à rester des machines à cash.

L’indécente opulence de ces actionnaires contraste fortement avec le manque de moyens des établissements de santé français. Selon le Canard Enchaîné [3], les statistiques sur les décès et l’âge des patients en réanimation laissent penser que le manque de places en réanimation a conduit à sacrifier les plus âgés. Le manque de personnel et le surcroit d’activité dans les EHPAD a également amené à une attention insuffisante portée aux pensionnaires qui a coûté la vie à certains.

Il en aurait été certainement autrement si les investissements nécessaires avaient été privilégiés à la rentabilité pour l’actionnaire.

3) Le scandale de la privatisation de la santé

La santé et l’aide à l’autonomie ne sont à l’évidence pas des activités comme les autres. Les soumettre au marché et aux exigences de rentabilité financière revient à sacrifier leur qualité pour le plus grand nombre. Les plus aisés s’en sortiront sans dommages dans des établissements aux coûts exorbitants. Les plus riches finiront leurs jours dignement, quand les plus pauvres seront laissés pour morts, dans l’indifférence générale. Le spectacle des inégalités du berceau au cercueil est intolérable.

Le secteur public et la Sécurité Sociale sont les garants de l’égalité concernant les soins. La privatisation de ces établissements vient donc en rupture à cette exigence d’égalité.

Le racket des pensionnaires dans les EHPAD privés (une place dans le privé coûte en moyenne 50% plus cher que dans le public) ne peut plus durer. Ce « business sur la mort » doit laisser place à un service public de l’aide à autonomie digne de ce nom, pleinement rattaché au secteur de la santé et qui assure les moyens nécessaires aux personnels pour une bonne prise en charge de tous les résidents. S’il fallait encore convaincre de la nécessité de lutter contre la marchandisation de la santé, le cas des EHPAD offre une triste vitrine de ce que la voracité financière peut faire à la santé des populations.















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